D’autres trouveront à dire qu’il ne s’agit que de traductions et que, par conséquent, chaque tentative pose la question de l’interprétation. Pour preuve là où, en français : "David et tout Israël dansaient devant Dieu de toute leur force, en chantant, et en jouant des harpes, des luths, des tambourins, des cymbales et des trompettes" (1 Chroniques 13:8), dans une version anglaise, "dansaient" est remplacé par "jouaient" (played): "And David and all Israel played before God with all their might; even with songs, and with harps, and with psalteries, and with timbrels, and with cymbals, and with trumpets".
Qu'est-ce que la danse ? Pour le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales du CNRS, la danse est le "Mouvement rythmique du corps de l'homme". Cette définition réduite à quelques mots rend compte de la complexité d'une définition moderne du terme. Aujourd'hui, tout mouvement contrôlé peut-être interprété comme une danse : la marche, un saut, s’agenouiller, etc. Certains affirment que danser, c'est prier et que la danse, à l'origine, est avant tout un acte cérémoniel et rituel – un lien direct avec Dieu. Aujourd'hui, elle peut-être religieuse ou profane. Nous pensons, bien entendu, à Danse sacrée et Danse Profane pour harpe et orchestre à cordes de Debussy.
Plutôt que de nous interroger sur la relation visiblement conflictuelle de la danse dans les églises chez les personnes à qui cela pose problème, nous préférons évoquer, ici, quelques uns des innombrables exemples que l'on trouve dans les lieux saints. Le message divin est transmis par la parole du prêtre ainsi que par l'expression artistique : l'architecture, les beaux arts au travers des vitraux, la peinture et la sculpture, la musique instrumentale et vocale et aussi la danse elle même, comme nous allons le voir.
La danse : persona non grata dans les lieux sacrés ?
La danse est présente dans les églises au niveau des beaux-arts de peinture ou de sculpture. Les anges sont très souvent représentés de façon à suggérer le mouvement, telle une chorégraphie autour de Dieu. La danse est un moyen expressif pour interpeler l’homme sur des sujets sensibles tels que la vie et la mort comme le suggèrent les peintures de danses macabres.
Dans leur forme sonore, certaines danses sont jouées dans les lieux saints. Des passacailles – danse dont l’origine remonte à l'époque Renaissance – spécialement composées pour orgue de Bach ou de Buxtehude font partie des œuvres majeures du répertoire des organistes d'églises. Interdire de jouer des danses dans les lieux saints reviendrait à exclure pratiquement toutes les symphonies de l'époque Classique, de Mozart à Haydn, sous prétexte qu'elles incluent un menuet.
Enfin, y compris dans leur forme physique, les danses sont exécutées dans les églises. L'Encyclopædia Universalis consacre un article aux danses d’églises dans lequel on nous rappelle qu'au cours du Moyen Âge, elles étaient pratiquées dans les lieux sacrés, notamment au moment de Noël et de Pâques, par les clercs eux-mêmes. La régularité des interdictions de danser dans les lieux sacrés par les conciles montre que si cette pratique est controversée elle reste fréquente. De nos jours encore, les danses spontanément créées dans les églises et chapelles de Bretagne, à l'occasion d'une rénovation ou de l'entretien du bâtiment, sont un symbole fort d'une communauté soudée et désireuse de protéger un patrimoine culturel et spirituel.
Dans la relation privilégiée avec le spirituel, la danse peut être un moyen individuel – la danse extatique des derviches tourneurs de la religion musulmane, par exemple –, comme un moyen collectif d’une assemblée telles les danses sur des gospels, dignes des plus belles chorégraphies issues de Broadway. Les pratiques visuelles (beaux-arts), sonores (instrumentale) et même physiques de la danse (danseurs) dans les lieux saints sont bien une réalité à travers le monde et pas uniquement dans la religion chrétienne.
Jouons des danses et jouons les bien
Personnellement, je n’invite pas les gens à venir danser lorsque le moment ou le lieu n’est pas approprié. Dans les églises, les chapelles, le public apprécie le moment musical qu'il "écoute" autant avec les yeux qu'avec les oreilles. L'acoustique de ces lieux appelle l'écoute de la musique y compris lorsqu'est jouée une musique de danse. Certains rapprochent ce moment du recueillement spirituel. Nous sommes-là dans la deuxième expression des trois représentations de danse citée plus haut, c'est-à-dire dans leur forme sonore.
Ceci dit, l'homme n'a pas attendu que soit créée la musique de danse pour danser. Il danse naturellement sur tout ce qui est musique comme sur ce qui n'est pas musique. On le voit chez les enfants qui se trémoussent même en l'absence de musique selon des mouvements physiques qui leur sont propres, comme chez les adultes en quête de mouvements chorégraphiques contemporains. Quels cantiques, quelles berceuses ne donnent pas l’envie de se balancer doucement ? Les mouvements Allegro de messe ou de requiem ne contiennent-ils pas cette impulsion propre à créer le mouvement rythmique du corps de l’homme, c'est-à-dire à danser ?
La musique, la musique de danse en particulier, n’est donc pas seule responsable de l’envie de danser. Non seulement la Bible n’interdit pas de danser dans les lieux sacrés mais nul ne peut logiquement s’y opposer car cela est tout simplement impossible : comment marcher, s’agenouiller ou même respirer sans interpréter ces mouvement rythmiques du corps comme de la danse ? Heureusement que la Bible nous rappelle qu'il convient de "Glorifiez (donc) Dieu dans votre corps et dans votre esprit" (1 Corinthiens 6-20).
Par essence, la musique est "impuissante à exprimer quoi que ce soit" nous dit Stravinsky (Chroniques de ma vie). La danse non plus, pourrions-nous ajouter. Elle n’est que ce que l’on y voit. Une représentation extérieure de son for intérieur. Nous y voyons un ciment social, culturel et spirituel de notre société. Un ciment qu’il convient de préserver dans une société en danger à tous égards.