Derek Ball : Je n'ai pas vécu dans une maison en chaume mais il y avait plusieurs maisons à toit de chaume dans notre rue, à Letterkenny. À cette époque, il était commun de voir des enfants marcher pieds nus. Tous les matins, nos packs de lait étaient déposés au pas de notre porte, depuis la petite ferme voisine. Mes parents jouaient de la musique étant jeunes mais de moins en moins au fur et à mesure que notre famille grandissait.
En réponse à mon grand intérêt pour la musique, ma famille acquit un piano. J'avais entre neuf et dix ans. J'appris rapidement comment écrire la musique et je commençai à composer de petites pièces pour piano. Archie Potter a eu l'occasion de voir quelques unes de ces pièces immatures et, après être arrivé à Dublin, j'ai commencé les cours de composition avec lui, de piano avec Carmel Turner, tout en étudiant la musique pour le Baccalauréat, à la Royal Irish Academy of Music. Par la suite, Jim Wilson deviendra mon professeur de composition pendant plusieurs années. Plutôt que d'aller à l'Université de musique, je suis allé en médecine. Cela a ralenti un peu mon développement musical !
Ma femme est écossaise. Nous nous sommes rencontrés alors que je travaillais à Jersey et nous nous sommes mariés à Dublin. À la fin des années 70, nous sommes arrivés à Glasgow le temps de travailler six mois. Finalement nous sommes restés en Écosse mais nous allons souvent en Irlande, surtout dans le Donegal et à Dublin où j'ai beaucoup de famille et d'amis. Ma musique est jouée plus souvent en Irlande qu'en Écosse et j'essaie toujours d'être présent lorsque cela se produit. Il y a quelque chose de bon en Irlande pour composer. Je reste souvent un mois dans le Donegal à l'automne, juste pour écrire. Lorsque je vais à Dublin pour une semaine, Je reviens souvent avec une demi-douzaine de projets de nouvelles compositions dans ma tête.
Influences irlandaises
Au cours des dernières années, des poètes – particulièrement des poètes irlandais écrivant en gaélique ou en anglais – sont devenus plus importants pour moi. Cela est dû en partie à ma redécouverte du chant, après ma pause prolongée au début des années 70 et jusque dans les années 2005 (l'année où j'ai pris ma retraite suivie immédiatement de la composition d'un énorme opéra). De la même manière que pour les chants, si un poème me marque fortement, j'écris une pièce en réponse.
Parmi mes plus importantes compositions figurent mes pièces pour orchestre, en particulier mon concerto pour alto (dédié au défunt Charlie Maguire) essentiellement en raison de l'utilisation de l'orchestre car, comme les gens me le disent, à l'époque moderne, l'orchestre est en danger en raison de son coût élevé et de l'échec de son évolution. Il y a aussi les pièces associant le rythme musical au rythme du langage, comme The Mischievous Boy (sur un long poème de Maurice Harmon), pièces qui m'ont amené à penser différemment la musique ; et l'opéra en gaélique Síle an tSléibhe, pour ses fortes connections, quoique distantes, avec la musique traditionnelle irlandaise. J'en suis souvent inconscient au moment de l'écriture mais j'entends fréquemment l'influence de la musique traditionnelle irlandaise par rétrospection. Écouter régulièrement cette musique doit naturellement affecter la façon dont on pense musicalement.
Composer pour la harpe celtique
Lorsque j'étais enfant, la petite harpe était pratiquement inconnue. Comme souvent pour les émigrants, mon intérêt pour cet instrument a grandi après avoir quitté l'Irlande. Mais la chose qui m'a surtout influencé a été la décision de ma fille d'apprendre, à l'âge de huit ans, la harpe écossaise à cordes nylon équivalent de la harpe irlandaise (à ne pas confondre avec la clàrsach ou cláirseach à cordes de métal bien entendu). J'imagine que l'autre facteur important pour moi doit être le renouveau de l'instrument avec celui de la langue et des mouvements de renouveaux culturels.
Ma première pièce à proprement idiomatique pour harpe irlandaise/écossaise est probablement Ceithre Ráithe na Cláirsí, écrite en 1995. Nous venions de rentrer des Rencontres Internationales de Harpe Celtique de Dinan où nous avions eu l'expérience mémorable d'écouter le fameux Myrdhin en concert. Ce qui m'avait frappé était une conférence sur la petite harpe évoquant la construction de l'instrument et la position du soleil à midi au moment des solstices d'été et d'hiver. Chaque section de la harpe représente l'une des quatre saisons et est dominée par les cordes où l'ombre du 'joyau' du pilier tombe sur la caisse de résonance à ce moment de l'année.
Síle an tSléibhe, cité auparavant, contient des sons électro-acoustiques en plus de tin whistles joués en direct. Certains des sons enregistrés proviennent de prises de son d'une véritable harpe. Après avoir méticuleusement modifié la hauteur de chaque note selon une échelle non-diatonique (tempérée de façon égale mais avec moins de douze notes par octave), j'ai utilisé ces notes non seulement pour les éléments mélodiques mais aussi dans des glissendi tournoyants soigneusement préparés, représentant les harpes mystérieuses des aos sí, le peuple des fées.
Songs and Stories of Caílte's Time
Ma pièce la plus récente pour harpe celtique est aussi la plus longue : Songs and Stories of Caílte's Time est une suite de morceaux pour harpe où sont intercalés des chants accompagnés et des textes en prose ou vers, extraits d'une traduction anglo-irlandaise moderne d'une œuvre classique de l'Irlande médiévale : l'Acallam na Senórach ("Dialogue des anciens"). L'écriture de cette pièce m'a permis de me rapprocher davantage du passé lointain de mon pays et de sa culture : certains événements décrits à travers les pensées d'un ecclésiastique anonyme du 12ème siècle se sont peut-être – en réalité – déroulés au cours du 3ème siècle. L'Acallam (ou Agallamh en gaélique moderne) est le récit d'un tour d'Irlande imaginaire avec le héros Fian Caílte comme guide et St Patrick lui-même en heureux touriste ! La musique essaie le plus possible de répondre aux concepts contenus dans le texte, par exemple : la représentation de la façon dont la culture des Tuatha Dé Dannan s'est faite surimposée par celle des druides, elle-même surimposée par la Chrétienté.
Le poète Maurice Harmon, qui a publié récemment une traduction moderne de l'Acallam (The Dialogue of the Ancients of Ireland), m'a suggéré l'idée. Une première version d'environ une demi-heure a été jouée à l'occasion de son 80ème anniversaire, célébré en 2010, avec Anne-Marie O'Farrell, à la harpe celtique, et Séamus mac Gabhan comme récitant. Nous espérons pouvoir organiser une tournée de la version définitive (de plus d'une heure) l'année prochaine.
Dans Songs and Stories of Caílte's Time, les leviers de la harpe sont réglés sur un accord irrégulier et différent à chaque octave. Cet accord reste complètement inchangé tout au long de la pièce. C'est de loin mon utilisation la plus extrême de cette pratique. Cela donne un son unifié à la pièce, tout en apportant des possibilités de combinaisons intéressantes. Ce qui semble naturel pour la harpe irlandaise serait complètement impossible à jouer sur une harpe de concert et peu aisé si vous êtes suffisamment déraisonnable pour essayer au piano.
Composer pour la harpe irlandaise n'est ni facile ni difficile. Certaines pièces demandent simplement d'être écrite, à cet égard facile ou difficile n'est pas pertinent. Il serait difficile de m'arrêter alors qu'il est tellement plus simple de continuer sur ma lancée.Derek Ball
Une pièce choisit son médium idéal. Cependant, et plus qu'avec d'autres instruments, pouvoir accéder à une harpe au moment de l'écriture est bien utile. Il est facile d'imaginer quelque chose pour s'apercevoir ensuite, au moment d'essayer, que cela ne marche pas à la harpe ou que cela est ridiculement difficile ou peu gratifiant à jouer. On ne devrait pas se fier au piano si l'on veut écrire pour la harpe, car les deux instruments diffèrent largement !
En ce moment, je développe un peu ma pièce Caílte's Time dans le but d'essayer de la faire tourner l'année prochaine ; j'essaie également d'organiser une autre tournée pour des pièces pour voix et cuivres ; je termine un cycle de chants pour un duo de deux heures ; je cherche des sponsors pour un opéra hybride ; je réfléchis à une longue pièce pour trois orgues d'églises ; je rassemble une série de pièces électro-acoustiques pour voix… Je devrais essayer de me tenir plus occupé !
Pour plus de détails au sujet de Derek Ball et de sa musique, rendez-vous sur le site du Centre de Musique Contemporaine de Dublin.