HarpeCeltiqueBlog : Sur ton site internet, tu évoques les résultats d’une recherche américaine révélant que 71% des patients en hôpital respirent mieux, 84% sont moins anxieux et 63% souffrent moins lorsqu’ils écoutent de la harpe. Comment la Harpe Thérapie fonctionne-t-elle ?
Anouk Platenkamp : La musique thérapeutique repose principalement sur la réaction que vous obtenez des patients. Cela leur permet de s’évader un peu de leur vie quotidienne bien souvent remplie par la confusion et/ou la douleur. Il peut également s’agir d’une expérience partagée avec leur famille ou le personnel soignant, expérience nous permettant de nous rapprocher. La musique est improvisée selon la personne pour qui vous jouez. La réaction que vous pouvez obtenir est incroyable et rend l'expérience très intime. Par comparaison, jouer en concert ne vous laisse pas autant de temps pour obtenir une telle réaction du public, d’autant que le musicien est souvent davantage concentré sur sa performance.
Les effets musicaux
La musique a des effets bien différents selon les modes que vous jouez. Deux personnes réagissent aussi bien différemment selon un même mode. Je commence par choisir un mode selon ma première impression de la personne pour laquelle je vais jouer. Certains modes vont détendre l'auditeur, d’autres vont émouvoir, il y en a même un qui permet d’élever l'esprit. Il s’agit d’adapter votre musique à tout instant selon les besoins.
Ensuite, il y a le tempo. Vous pouvez essayer de l'adapter à la respiration d'une personne. Ralentir ce tempo légèrement aide un peu les gens à se détendre plus profondément. Encore une fois, il est très important d'observer les réactions des patients : la musique est-elle assez forte pour qu’ils entendent ? Préfèrent-ils écouter les cordes graves de la harpe ou au contraire les cordes aiguës ? Vous pouvez également trouver une tonalité spécifique qui s’adapte parfaitement au caractère de la personne. La tonalité résonante est une tonalité qui trouve un écho particulier chez la personne. En tant que musicien, vous préférez peut-être ainsi certains morceaux selon leur tonalité plutôt que d’autres.
Une de mes plus fortes expériences de tonalité résonante est lorsque j’ai joué un jour pour un garçon atteint de handicaps mentaux et physiques graves. Il ne pouvait pas manger et devait être alité par une pompe reliée à l’estomac qui n’était pas agréable pour lui. Il n’arrivait à se détendre que lorsque je jouais sur les cordes les plus hautes de ma harpe, en particulier le Fa et le Sol. Pour moi cela n’était pas vraiment de la musique mais dès que je jouais autre chose il devenait agité et se mettait à faire du bruit tandis que ces deux notes le calmait et le rendait attentif, il souriait même.
Parfois, les gens me disent à l’avance qu'un patient aime tel ou tel type de musique, voire une chanson particulière, ce qui est mieux pour se préparer. Mais la musique thérapeutique signifie souvent avoir toute sorte de morceaux prêts à jouer à n’importe quel moment. Un jour, dans un hôpital, un homme m'a demandé si je pouvais jouer pour sa femme. Elle était dans un état si fragile, que personne n’était autorisé à entrer dans sa chambre sans revêtir des vêtements spéciaux. Ils m’avaient entendue alors que je jouais dans le couloir et sa femme avaient demandé si je pouvais jouer Greensleeves, parce que cette chanson leur remémorait des souvenirs forts à tous les deux. Je me tenais là, à la porte, et jouais pendant qu'ils se tenaient la main à l'intérieur de la salle. Ce fût un moment très intime pour eux.
Un aspect social pris en considération
Dans de tels lieux, il ne faut pas oublier que ces gens sont des êtres humains avant d’être des patients. L'aspect social est encore plus important que la maladie elle-même. Lorsque l’on joue pour des personnes capables de communiquer, une conversation commence généralement. Le plus souvent, nous parlons de musique ou de harpe, parfois elles vont me parler de souvenirs que la musique suscite en elles. Rarement nous parlons de leur état, sauf en maison de retraite ou, parfois, les personnes évoquent leur mort prochaine et comment elles aimeraient qu’on se souvienne d’elles. Je ne suis pas là en tant que médecin traitant leur maladie physique, mais comme une personne et une musicienne apportant un peu de répit à leur condition.
Même quand les gens sont incapables de me répondre, je me présente à eux et leur explique pourquoi je suis là ; c’est une question de courtoisie. En les observant ce n’est pas tant la maladie que je regarde, que leurs réactions à ce que je joue. De cette façon, j’essaie de faire un lien entre la personne et moi.
Lorsqu’un patient est incapable de communiquer directement, cela aide d’avoir des informations de la part de la famille ou du personnel. Même les plus petits détails sur ses goûts musicaux ou sa profession, sa personnalité avant qu'il ou elle ne devienne malade peuvent faire une grande différence dans la relation. Cela n’est pas vraiment du domaine de la musique, c’est davantage être à l’écoute de la personne en face de vous et créer une connexion (musicale).
Une reconnaissance à venir
De nombreux pays ont mis au point une forme de thérapie de la musique, mais cela implique généralement l'obtention d'un diplôme universitaire qui est spécifique au pays. La formation pour ce type de travail est beaucoup plus vaste que celle offerte dans les cours de thérapie musicale. Il y a beaucoup de types de musiques jouées « au chevet » des patients, très souvent par des bénévoles formés en tant que musiciens ou thérapeutes, et d’autres qui n’ont pas de formation. Il n'existe malheureusement aucune reconnaissance officielle pour ce type de travail. La harpe thérapie tombe dans cette catégorie de « musique de chevet ».
Les formations existantes en Europe sont généralement des programmes mis en place par des particuliers. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas une bonne idée de suivre ces cours. Au contraire, cela permet de montrer à vos employeurs potentiels que vous êtes formé à ce que vous faites. Cela vous permet également de partager vos expériences et vos acquis avec d’autres harpistes thérapeutes. Peut-être qu’à l'avenir, le mouvement deviendra tel que des cours officiels seront organisés partout dans le monde. Pour l'instant, nous sommes encore des pionniers.
HCB : Le mois prochain, tu animeras un atelier de harpe thérapie lors du Festival International de Harpe d'Édimbourg. Peux-tu nous parler brièvement de ce que tu vas faire lors de ce stage ?
AP : Le cours reposera sur l'une des choses les plus importantes de la musique thérapeutique, qui est la capacité d’adapter votre musique à la situation. Nous allons travailler sur la façon d’improviser dans les différents modes mentionnés auparavant, en utilisant des motifs à la main gauche pour garder le rythme. Les participants apprendront les effets que peuvent avoir les modes sur les gens et la façon de les utiliser pour créer une musique pour une personne en particulier. Nous aborderons également le choix du répertoire dans le cas d’une pratique d’une musique familière. L'accent sera mis sur l'adaptation de la musique à la personne / groupe spécifique. Pour cela, il n’est pas nécessaire d'avoir de nombreuses années de pratique instrumentale ; le matériel présenté dans ce cours sera nouveau pour beaucoup de personnes et mettra au défi les joueurs avancés autant que les débutants.