À l’époque du romantisme, la culture celtique, la musique en particulier, est à l’honneur, faisant le grand écart entre la nostalgie d’un passé mythologique et les fondements d’un renouveau artistique bien réel. Cet engouement commence dès le 18ème siècle avec la célèbre parution des poèmes du barde écossais Ossian par Macpherson et de la première eisteddfod – festival de musique traditionnelle et de poésie, au Pays de Galles. Une vague celtique déferle et des sociétés celtisantes se créent un peu partout en Europe.
Dans cet environnement naît le mouvement viennois Telyn – « harpe celtique » en gallois ; Telenn, en breton – lequel, contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, est un mouvement philosophique et politique pangermanique. Le choix symbolique de ce nom souligne l’influence des sociétés celtisantes de l’époque et n’a pas de véritable lien avec l’instrument des bardes. Parmi les membres de la société Telyn : le politicien Victor Adler, l’auteur et philosophe Siegfried Lipiner et un étudiant du nom de Gustav Mahler.
Mahler écrivant pour la harpe celtique ?
Tout au long de sa vie, le compositeur cherche la confrontation avec ses détracteurs – dont ses propres musiciens – comme dans ses œuvres. Dans ses symphonies, un genre qui, par définition, ne s’y prête guère, il nous a habitués à l’opposition des instruments seuls, face à un orchestre toujours plus imposant. Ici, un violon prend des allures de soliste, là, un violoncelle flirte avec le concerto. L’intégration de la guitare et de la mandoline dans la 7ème symphonie prouve une nouvelle fois le tempérament non-conformiste de Mahler. Composer pour un instrument aussi singulier que la harpe celtique n’aurait donc pas été un coup d’essai pour lui. Qui sait ce que sa dixième symphonie – inachevée – aurait réservé comme surprise dans son orchestration ?
Parue en 1907, la caricature de Theo Zasche représente l'orchestre moderne où l'on voit Mahler, assis sur une bombe, dirigeant un orchestre d'animaux à l'aide d'un hochet. On y reconnaît aussi Arnold Schoenberg jouant sur une machine à coudre, tandis que Richard Strauss écrase le public d'un poids et qu'Arnold Rose joue d'un double violon avec deux archets.
Mais revenons au mouvement Telyn. Si Mahler n’est plus vraiment actif au sein de ce mouvement à la fin de sa vie, il n’en reste pas moins marqué par une profonde influence dans sa pensée comme dans sa création artistique. De ce mouvement, il garde une amitié, parfois ombrageuse mais durable, avec certains membres, en particulier Siegfried Lipiner. Clin d’œil à l’histoire de la musique, lorsqu’il écrivait pour la harpe, pensait-il à l’instrument des bardes, symbole du mouvement de ses années d’étudiant engagé ?
Arrêtons-là notre enthousiasme et puisqu’il faut rendre à César ce qui lui appartient, nous rendons volontiers les œuvres de Mahler pour harpe au répertoire de celle à pédales. D’une part, l’écriture du compositeur post-romantique requiert une technique et un style musical propre au musicien jouant de la harpe à pédales et, d’autre part, son œuvre, dans sa conception, est loin de la tradition musicale de la harpe celtique, encore plus d’une musique traditionnelle celtique.