Imaginez que vous êtes à un concert. Devant vous sur scène se produit un musicien particulièrement doué : une musicalité époustouflante, une technique irréprochable et, non sans raison, vous commencez à vous poser des questions sur votre propre façon de jouer. Plus personnelle et moins académique, sa façon de jouer est aussi plus précise. Comment se fait-il que votre technique, celle que vous avez mis des années à acquérir, semble soudainement balayée d’un simple de ses gestes ? Qu’aurait-il appris de plus que vous et que vous ignorez ? Cette expérience, nous l’avons tous vécue un jour ou l’autre et plus ou moins bien. Qu’est-ce qui fait donc la différence entre vous et lui ?
Si vous pratiquez régulièrement, vous développez votre technique. Certains en ont plus que d’autres, certes, car ils pratiquent certainement davantage, mais, dans tous les cas, nous jouons tous avec de la technique. Sans elle, le geste ne serait qu’une suite de mouvements désordonnés. Dans la pratique instrumentale, la répétition d’un exercice ou d’un morceau nous permet de développer notre habileté et donc de progresser.
La musique doit faire avancer votre technique
La question n’est pas tellement de savoir s’il nous faut acquérir davantage de technique que de savoir de quelle technique avons-nous besoin ? À vrai dire, il n’y en a pas de « bonne » ou de « moins bonne ». Disons que la « vraie » technique est celle qui vous permettra de progresser, tandis que l’inadaptée, celle que l’on qualifiera de « fausse technique », vous conduira assurément dans une impasse. Nombre de techniques que j’emploie aujourd’hui proviennent de mes compositions ou arrangements. Jamais je ne les ai apprises auprès d’autres musiciens. C’est un travail d’invention que de créer une technique au même titre que la composition d’une nouvelle musique. Pourquoi inventer une nouvelle technique ? Tout simplement pour répondre à une nécessité musicale. Cela est particulièrement visible dans mon jeu de main gauche. Cette technique, je l’ai créée pour répondre à ce que j’entendais.
Pour éviter la confusion, arrêtons-nous maintenant sur la différence entre les termes « technique » et « exercice ». Disons-le brièvement : nous pratiquons des exercices pour développer notre technique car ils sont sa fondation. Là non plus, il n’y a pas de « bons » ou de « mauvais » exercices mais certains plus appropriés que d’autres et il vous faudra toujours chercher à savoir lesquels sont plus à même de répondre au but que vous vous êtes fixé. Prenons un exemple : à quoi sert de jouer des gammes ? Un exercice à la fois plein de rigueur, de développement de la motricité et de maîtrise du phrasé. Si votre objectif est clairement le contrôle de la musicalité, n’y en a-t-il pas de plus adaptés ?
Venons-en à présent à la question cruciale : comment peut-on avoir une technique stable, nous permettant de jouer tout ce qui est imaginable ? Souvenez-vous de notre musicien du début. N’avez-vous pas ressenti, à la toute première note du concert, quel serait le niveau de sa prestation ? Pourtant, la technique ne commence pas là. Elle se dévoile bien avant de monter sur scène à travers l’attitude générale. Nous connaissons, tous à un moment de notre vie, le stress du concert : le pouls s’accélère, la respiration est hésitante, les mains deviennent moites. Cette situation est caractéristique d’un manque de technique ou de « technique avant la technique ». Jouer d’un instrument révèle la maturité du corps comme celle de l’esprit et, si votre technique est essentielle pour contrôler vos doigts, elle l’est également dans la maîtrise de la respiration, comment vous êtes physiquement et mentalement avec votre instrument.
Vous pensez apprendre à jouer d’un instrument de musique mais, en fin de compte, l’instrument, c’est vous.
La technique va bien au-delà de la pratique instrumentale et la vie de tous les jours nous offre les opportunités de l’améliorer sans cesse : le balancement équilibré de la marche à pied, les gestes précis de la main écrivant une lettre, ou la réalisation de simples tâches au quotidien en essayant de contrôler ses mouvements et sa respiration. Toutes ces choses ont bien un point en commun : la maîtrise de son corps et de son esprit.
Références
Pour aller plus loin, je vous recommande deux excellents ouvrages qui m’ont beaucoup apporté dans le développement de ma propre technique :
- Paczynski (Stalinslas Georges), Rythme et geste : dans lequel l’auteur évoque son travail à la percussion mais qui est tout a fait transposable à d’autres instruments.
- Dürckheim (Karlfried Graf), Hara centre vital de l'homme : ouvrage majeur du psychothérapeute allemand sur le geste et la posture.