On ne peut vraiment commencer à parler des Rencontres Nordiques de Harpe sans expliquer ce que veut dire le terme "harpe" dans les pays Nordiques ?
Erik Ask-Upmark & Josef Berger : Le terme "harpe" (harpa/harpe/hörpu) a été (et est toujours) employé dans un sens large dans les langues scandinaves. En plus de vouloir dire "vieille femme laide", le mot a été utilisé pour nommer différents instruments à cordes : des psaltérions (notamment le kantele finnois, encore appelé "harpa" dans le Finnskogen suédois), des lyres à cordes pincées ou grattées (appelé "harpa" dans la poésie norvégienne), le jouhikko (harpe à archet ou "stråkharpa" en suédois), la langeleik ("långharpe" en norvégien), le ou la nyckelharpa (violon à touche), la vielle à roue (autrefois appelée "hjulharpa") et bien d'autres.
De nombreuses harpes stricto sensu (c'est-à-dire un cordophone au pan de cordes perpendiculaire à la table de résonance) sont représentées dans l'iconographie de l'époque médiévale et à la Renaissance, sur des bas-reliefs sculptés, dans des peintures d'églises et des boiseries au Danemark, Norvège et en Suède.
En Norvège, un certain nombre de harpe traditionnelle sont conservées dans plusieurs musées, la plus ancienne datant du 17ème siècle. La Suède a connu des facteurs de harpes au 18ème et 19ème siècle dont les instruments peuvent être admirés au Musée de la Musique de Stockholm. En outre, d'après les traces laissées dans la littérature et particulièrement dans le "Gluntarne" du poète suédois Gunnar Wennerberg, on sait qu'au cours du 19ème siècle, des harpistes itinérants d'Europe centrale venaient régulièrement au Danemark, en Suède et en Finlande.
Au Danemark, des documents historiques évoquent les noms de Edvard Adam, Magnus Maxi, Darby Scott et Carolus Oralii, harpistes à la cour du roi Christian IV ; l'un d'entre eux est représenté dans une peinture de Rainhold Timm (vers 1622). De nombreux musiciens, de villes danoises des 17ème et 18ème siècles, sont connus aussi pour avoir joué de la "harpe de David". Quant au Musée Danois de la Musique de Copenhague, il abrite plusieurs petites harpes diatoniques (appelées "amatørharper", "harpe pour amateur") datant des 18ème et 19ème siècles. Certaines d'entre-elles ont été fabriquées par des facteurs d'instruments danois.
En Finlande, on connaît les noms de harpistes de cour, de musiques récréatives et de rue, notamment un certain "Mikael harpolekare", musicien au château de Turku en 1580. Plus tard, la musicienne aveugle Charlotta Seuerling (qui a également vécu à Turku, vers 1810) a joué d'une petite harpe à pédales en accompagnement de ses chants mélancoliques suédois. Henryk Sulkawa de Virrat (à l'ouest de la Finlande) a construit une petite harpe diatonique en 1818, similaire à la surprenante "harpe" de Kalvsvik (Småland, Suède). Enfin, Kreeta Haapasalo, la plus fameuse des joueuses de kantele finnois du 19ème siècle a été inspirée par des harpeurs itinérants d'Europe centrale parcourant les pays Nordiques et jouant sur les marchés, dans les rues et dans les tavernes de l'époque.
Quels sont les pays « nordiques »
"Nordique" (nordisk) est un terme politique et culturel large regroupant sous une même entité le Danemark, la Finlande, l'Islande, la Norvège, la Suède et leurs territoires autonomes ou semi-autonomes associés : Groenland, Îles Féroé, Île Jan Mayen, Svalbard et Åland. Le terme est dérivé de "Norden" qui veut dire simplement "le Nord" mais qui sous-entend par habitude de langage les entités politiques mentionnées ci-dessus de par leur histoire commune, à travers leurs unions, les guerres, le commerce maritime, etc.
Ces pays sont souvent appelés improprement "Scandinavie" qui ne se réfère seulement qu'au Danemark, à la Norvège et à la Suède. Au sens musical du terme, "nordique" est souvent employé pour désigner la musique traditionnelle de ces régions.
Les Rencontres Nordiques de Harpe
La première Rencontre Nordique de Harpe a été organisée en 2008, d'après le concept suédois de rassemblement de musiciens ("spelmansstämma"), un lieu où tout le monde peut jouer, indépendamment des niveaux, mélangeant harpeurs avancés et débutants, chanteurs professionnels ou simplement curieux. C'était une tentative pour rassembler des musiciens d'autres parties de l'Europe qui, autrement, ne se seraient jamais rencontrés et de leur faire découvrir le kantele finnois, la harpe traditionnelle norvégienne, la langeleik, des variétés de harpes et de lyres et aussi d'autres instruments à cordes pincées, et de leur donner l'opportunité d'apprendre des morceaux. Les participants ont réalisé que la musique de kantele pouvait être jouée à la harpe et vice versa, etc. Ce concept a été apprécié par tous les participants jusqu'à présent et nous avons essayé de garder cette forme.
Chaque année les Rencontres changent de pays : après la Suède (Lund, 2008), la Finlande (Turku, 2009), la Norvège (Gjøvik, 2010), le Danemark (Broby, 2011) et de nouveau la Finlande (Jyväskylä, 2012), les Rencontres sont de retour en Suède, cette année, à Järna, près de Stockholm. Ces changements permettent de connecter le Nord plus facilement. C'est une bonne raison aussi, pour les participants réguliers, de visiter et de découvrir d'autres pays. Imaginez une situation où une personne habite à Helsinki, une autre à Stockholm, une troisième à Copenhague, une quatrième à Oslo et une cinquième à Reykjavik : si elles veulent se rencontrer dans l'un de ces endroits, l'une est sur place et les autres sont contraintes d'entreprendre un long voyage.
Bien que certains des participants viennent chaque année, indépendamment du lieu de rencontre, la rotation est plus équitable. C'est aussi une opportunité pour encourager les locaux à venir alors qu'ils ne se déplaceraient peut-être pas aussi loin. L'équipe organisatrice change aussi tous les ans, selon le lieu et les personnes intéressées à s'atteler à la tâche. Dans les premières années, les Rencontres étaient financées par le Fonds pour la Culture Nordique qui subventionne les événements ayant trait aux pays nordiques. À présent, nous devons nous tourner vers d'autres sources de financement.
Beaucoup de participants sont réellement passionnés et jouent de différents instruments que certains d'entre eux fabriquent eux-mêmes. D'autres effectuent des recherches plus académiques sur la harpe et savent davantage – parfois bien davantage – que ce que l'on trouve sur Wikipédia. La plupart des personnes sont intéressées pour jouer mais aussi par le contexte culturel : "Sources potentielles de la musique des Vikings", "Traditions nordiques et celtiques à la harpe : similarités, différences et relations", "Le pouvoir de la harpe dans la littérature nordique du Haut Moyen-Âge", "La musique de la cour norvégienne entre 1200-1340"… sont quelques uns des sujets abordés lors des conférences et séminaires au cours des cinq dernières années.
Les sujets de ces conférences et des stages sont clairement indiqués, permettant à chacun de choisir facilement selon ses centres d'intérêt : de l'approche instrumentale historique, aux techniques modernes de jeu, etc. Les gens qui ont conscience de ces différences de jeu n'ont généralement pas de problème pour dissocier ces approches et, cela, selon les instruments (par exemple la technique de la harpe Gothic à cordes de boyau par rapport à celle d'instruments celtiques nouveaux à corde de nylon). C'est une question généralement de pratique, à savoir : qu'est-ce qui "marche" réellement sur votre instrument ?
Un autre aspect des Rencontres est la transmission du répertoire d'un instrument à un autre. Chaque musicien apprécie d'étendre son répertoire et recherche, par conséquent, à élargir ses possibilités. Transmettre des morceaux à d'autres musiciens, savoir que de "nouveaux" airs sont diffusés au sein de la communauté de la musique traditionnelle – y compris pour d'autres instruments – est quelque chose de formidable. Il peut-être aussi ennuyeux parfois de jouer le même morceau encore et encore, tandis qu'apprendre des morceaux dans un contexte traditionnel avec d'autres instruments peut-être source d'inspiration et de satisfaction. En outre, il est possible de développer de nouvelles façons de jouer en "imitant" les techniques idiosyncratiques des autres instruments.
Avoir pour nom les "Rencontres Nordiques de Harpe" veut tout simplement dire que nous nous rencontrons quelque part avec nos harpes et autres instruments et que nous partageons notre passion. La porte est ouverte à tout le monde, que vous soyez joueur de kora africaine, de harpe paraguayenne ou d'épinette des Vosges, venez avec ! Cette année, les participants viendront de plus d'une douzaine de pays, dont les États-Unis pour la première fois.
Le programme complet est en ligne ici.