HarpeCeltiqueBlog : Bonjour Priscilla, il est difficile de comprendre cette révolution sans être scientifique. Peux-tu nous expliquer de quoi il s’agit ?
Priscilla Clark : La découverte du boson de Higgs est une étape décisive dans notre compréhension de l’Univers. Jusqu’à présent, on opposait à la matière un vide que l’on ne pouvait mesurer. Ce vide est aujourd’hui comblé, confirmant ce que l’adage populaire a toujours proclamé, à savoir que la nature a horreur du vide. On ne peut plus dire « mon verre est à moitié vide » ou « à moitié plein » car on sait que la matière est partout, même si on ne peut la voir.
Lorsque je regarde le ciel, la terre, les plantes ou les atomes, je vois la même chose car tout est construit à partir de minuscules brins d’énergie semblables les uns aux autres. De même que les vibrations d’une corde d’un instrument créent différentes harmoniques, les différentes vibrations de ces brins d’énergie donnent aux particules leurs caractéristiques fondamentales, comme leur masse et leur charge. La différence entre deux objets est déterminée par la façon dont vibrent ces cordes. Notre époque mesure enfin ce que Pythagore décrivait dans son Harmonie des sphères, à savoir que l’univers peut être considéré comme une vaste symphonie cosmique. C’est là toute l’importance de la théorie des cordes.
HCB : Combien y a-t-il de cordes dans cette théorie ?
PC : Il ne s’agit que de spéculations. Tout est allé très vite depuis la formulation de cette théorie ou plutôt de ces théories, puisqu’il y en avait cinq officiellement parmi la communauté scientifique. Quant au nombre de cordes, on sait qu’il est beaucoup plus élevé qu’on ne le pensait au départ. Jusque dans les années 1920, le monde connu n’avait que quatre dimensions : les trois dimensions spatiales auxquelles, depuis Einstein, il faut ajouter la dimension temporelle. Passer de trois à quatre dimensions était déjà une idée révolutionnaire à l’époque ; plus audacieuse, en tout cas, que de passer à onze ou trente dimensions aujourd’hui ! Dans les années 1990, les suppositions allaient jusqu’à dix dimensions puis, en 1995, Ed Witten propose le modèle « M » à onze dimensions. La constante de Witten était alors admise comme la limite infranchissable du nombre de ces dimensions. Hors, depuis les années 2010, les découvertes au laboratoire du Fermilab et, plus récemment, la découverte du Boson de Higgs au grand collisionneur du CERN ont littéralement fait exploser cette limite.
Le monde est plus proche d’un instrument à trente, voire trente-quatre cordes que du violon à quatre cordes d’Einstein.Priscilla Clark
HCB : trente ou trente-quatre cordes, le monde est donc une harpe celtique ?
PC (enthousiaste) : Exactement !
HCB : Comment peut-on se représenter ces autres dimensions ?
PC : Notre cerveau habitué pourtant à se déplacer dans trois dimensions a déjà du mal à apprécier les distances, alors vous pensez bien qu’appréhender trente dimensions est quasiment impossible. Prenons un exemple : de loin, nous voyons les cordes de la harpe à deux dimensions, telles de simples lignes tendues entre la table et la console, en haut. Si vous étiez de la taille d’une fourmi, vous pourriez tourner autour de ces cordes, dans les trois dimensions. Notre perception du réel est donc constamment faussée.
HCB : En quoi cette révolution nous concerne t-elle, nous, musiciens ?
PC : Conséquence directe de cette théorie, le diapason va passer de 440 Hz à 496 Hz. Cela fait bientôt trente ans que ce chiffre est connu, depuis que John Schwarz et Michael Green ont résolu l’anomalie gravitationnelle de la théorie ; c’était en 1984 ! Et cependant, la hauteur n’a absolument pas bougé depuis qu’elle a été fixée à 440 Hz, lors de la conférence internationale de Londres, en 1953. Pour compenser la hausse, considérée comme insuffisante depuis l’ère Baroque, le diapason devrait donc accentuer son élévation très rapidement dans les prochaines années.
Une conséquence plus spectaculaire est la fabrication d’un nouveau type de cordes. Jusqu’à présent, nous jouons sur des cordes ouvertes, attachées d’un côté à la table et, de l’autre, à la console. Hors, cette théorie fait appel à un autre type de cordes sans extrémités, en cercle donc, dites cordes fermées. Pour fabriquer de telles cordes, les luthiers vont devoir se livrer à une véritable prouesse technique.
La première harpe à cordes fermées n’est pas encore fabriquée que la demande d’ouverture de classes dans les écoles de musique est déjà importante. À part quelques établissements favorisés qui pourront s’offrir le luxe d’engager deux professeurs spécialisés, les autres vont devoir imposer à leur enseignant de proposer des cours sur les deux modèles de harpe, ce qui ne sera pas simple du fait que celui-ci devra non seulement se reformer à un autre instrument mais il aura aussi pour tâche de créer une technique et d’inventer un nouveau répertoire.
HCB : Merci Priscilla pour ces explications claires et pour nous avoir ouvert l’esprit sur les conséquences musicales de cette théorie.
PC : Le plaisir était pour moi.